Le 23 juin 2012

Bienvenue sur le blog du magister cogitans, professeur de langues anciennes depuis dix ans maintenant, sur un poste en collège. Ce blog a vocation à mettre à plat les réflexions du rédacteur sur l’enseignement des langues anciennes et leur actualité. Vous seront proposées des descriptions de séances, des recensions d’ouvrages en lien avec le monde antique ou l’enseignement des lettres classiques, des commentaires d’articles sur les mêmes sujets, et plus généralement des réflexions sur la didactique des langues anciennes.

Afin de clarifier le propos, ce blog ne s’occupera pas de didactique du français ou d’actualité de l’éducation. Puisse-t-il ouvrir des pistes de réflexion à des collègues de lettres classiques, et que ceux-ci, en retour, fassent part des leurs !

Vale,

le magister

dimanche 1 septembre 2013

La mode éditoriale des expressions, petit recensement.

Alors qu'elles sont souvent peu exploitées dans l'enseignement secondaire, comme je le précisais dans un billet précédent, les expressions latines et grecques (mais surtout latines) sont une niche éditoriale foisonnante. Je vous propose aujourd'hui un petit recensement, qui se veut à destination des collègues, auxquels je préciserai si les ouvrages envisagés sont consultables et utilisables par les élèves. Je ne prétends pas faire une recension exhaustive de chacun de ces ouvrages, ni d'être complet dans mon recensement. J'espère simplement donner quelques idées, voire quelques idées-cadeaux, à mes collègues comme aux amateurs de ce genre de douceurs. 

***

Lorsqu'on cherche sur un site marchand, qu'il ait un nom à consonance grecque ou qu'il soit un acronyme,  des ouvrages sur les expressions grecques et latines, on tombe rapidement sur une liste de ce type:

1) La cuisse de Jupiter, de Bernard Klein, ed. Librio, 2006.


Un livre au rapport qualité - prix difficile à battre. Bernard Klein, qui a aussi écrit une très bonne Histoire de Rome dans la même collection, nous propose un ouvrage assez exhaustif, dont les articles sont clairs, précis, rédigés avec un ton décalé et amusant. La présentation des articles est claire et permet aux jeunes lecteurs de trouver à la fois le sens actuel de l'expression et les explications relatives au monde antique. Cependant, il ne cite pas les textes sources (récits de mythe...), ce qui en aurait fait un ouvrage vraiment indispensable.

2) Les expressions grecques et latines, de Marie-Dominique Porée-Rongier, ed. First, 2007.


Petit livre dont le prix est modique, mais le format peu pratique. Il se découpe en deux parties d'inégale longueur: "Citations, proverbes et paroles célèbres de l'Antiquité gréco-romaine" et "mots et expressions du quotidien". La première partie rappelle les pages roses du dictionnaire Larousse, la seconde recense les expressions qui peuplent les discours médiatiques ("Nettoyer les écuries d'Augias"...) Les explications sont de qualité mais le format et l'absence de notes explicatives font de ce petit ouvrage un simple pense-bête, peu utilisable par les élèves à moins de travailler à fond sur les articles. 
Je vous livre au passage une piste d'exploitation: un "projet" à mener pourrait être de proposer aux élèves de rédiger les notes explicatives. Se posent alors les questions suivantes: est-ce encore du latin? Et surtout est-ce légal au regard de la législation sur les droits d'auteur?

3) In vino veritas, dictionnaire commenté des expressions d'origine latine, d'Orlando de Rudder, ed. Larousse, 1988.

Première chose à noter: un ouvrage sur les expressions qui commence par la citation de Flaubert sur le latin, tirée du Dictionnaire des idées reçues, ne peut qu'avoir un ton très décalé.
Pour mémoire, je vous la restitue:
"Latin: langue naturelle à l'homme - Gâte l'écriture - est seulement utile pour lire les inscriptions des fontaines publiques - Se méfier des citations en latin, elles cachent toujours quelque chose de leste." 
L'ironie mordante et l'érudition de Flaubert se retrouvent assez dans cet ouvrage, qui n'est pas rédigé par un universitaire mais un auteur de fictions (qui se définit lui-même comme un "intellectuel arrogant et prétentieux"). Sachez qu'il est aussi l'auteur du délectable Aux petits oignons! Cuisine et nourriture dans les expressions de langue française.
Ce livre - qui n'est malheureusement plus édité mais qui reste  trouvable d'occasion - nous invite à un voyage littéraire dans la vie des mots et des expressions, aux côtés de l'auteur, qui cabotine un peu, certes, mais qui réussit à nous emmener. On peut aussi y lire des explications qui concernent des mots plus surprenants (Canularium...). 
En bref, cet ouvrage n'est absolument pas utile pour les élèves, mais me semble intéressant à posséder, pour partager le plaisir de l'érudition qui le baigne.

4) Le petit livre des citations latines, de Lucien Jerphagnon, ed. Tallandier, 2006.


On ne présente plus Lucien Jerphagnon, qui, aux côtés de Jacqueline de Romilly, de Jean-Pierre Vernant, a été un des visages médiatiques - quoique plus discret que les premiers nommés - des études anciennes dans le grand public. Ce petit livre est un choix de citations, brièvement expliquées. Jerphagnon, pessimiste et ironique à la fois, présente son petit livre comme une "visite guidée" des pages roses du Larousse, comparées à une nécropole. Les explications sont piquantes, tendres, drôles. On peut voir ce petit livre comme un recueil de bons mots à lancer aux élèves (alea iacta est comparée au "Rien ne va plus" des casinos. Les fans de poker apprécieront). Ce petit livre peut se voir comme une agréable lecture de préparation, mais ne me paraît pas être utilisable tel quel avec des élèves. Notons que cet ouvrage a été réédité en édition de poche (quoique l'édition originale tenait elle aussi dans la poche) à la suite de l'hilarant C'était mieux avant ... , recueil de citation pessimistes, d'Homère à Boileau, de Cioran à Boccace. 

5) Petit Dico des Expressions Latines et Grecques, de Sylvie Brunet, 2008, City Editions. 


Ouvrage ambivalent. 
Sa richesse tient en deux points:  un classement clair, par entrées consistant en des verbes à l'infinitif, tels que "plaire", enterrer", classés par ordre alphabétique français. A chaque verbe correspond plusieurs expressions, où chacune des langues anciennes est représentée. Il s'agit de l'autre force de cet ouvrage: le nombre relativement important d'expressions et citations littéraires grecques, ce qui n'est pas si fréquent dans ce genre de publications. 
Cependant, le lien entre les différentes citations n'est pas toujours évident, et paraît même souvent artificiel. Cet ouvrage donne donc accès, pour un prix modique, à de nombreuses expressions grecques, mais le classement, l'articulation des expressions à l'intérieur d'un article, et les explications  sont parfois franchement elliptiques. Il faut donc voir ce livre comme une base à retravailler par soi-même. 
Non dénué d'intérêt, il est cependant peu probable que cet ouvrage soit fréquenté par les élèves dans un CDI.

6) Le latin: cent citations, de Jean-Paul Plantive, illustré par Pascal Jousselin, Le Polygraphe éditeur.


Le Polygraphe édite une petite encyclopédie impertinente, souvent précieuse (lisez donc les volumes consacrés à la grammaire, la syntaxe et aux difficultés de la langue française). Le volume sur le latin tient les promesses soulevées par cette collection. Il s'agit d'un bel ouvrage, agréable à manipuler, agréable à lire, car le style de l'auteur est clair, ses articles bien menés, très documentés et appuyés sur des principes cohérents (retour au contexte d'origine, bien cerner les différentes strates temporelles de l'expression et s'efforcer d'interroger leur résonance aujourd'hui). L'ouvrage s'achève par un glossaire des termes latins usuels (in fine...), une très bonne bibliographie pour pleinement entrer dans ce domaine et un choix de sites internet de textes latins (les itinera electronica, le site de Philippe Remacle ...) et une seule référence pour les expressions latines: le site abnihilo.com .
En bref; c'est un livre à posséder absolument tant il est riche, bien construit, pratique et agréable à consulter. Le choix des expressions permet d'y piocher la matière pour construire une séance, voire une progression de séances cohérentes. 

7) Dictionnaire des sentences latines et grecques, de Renzo Tosi (trad. Rebecca Lenoir), ed. Jérôme Millon.


Première référence citée dans la bibliographie du précédent ouvrage de notre liste, l'écho de la sortie de cette somme a résonné hors des murs de l'université, puisque l'hebdo Télérama y a consacré un article. C'est dire à quel point cet ouvrage est important. Nous ne sommes plus face à un livre destiné à une lecture simplement plaisante ou informative, mais à une somme érudite, extrêmement dense. Cet ouvrage, d'ailleurs recommandé dans le rapport de l'inspection générale d'août 2011, est une base de travail solide si l'on veut s'aventurer dans la construction d'un cours et d'une progression sur les expressions latines. En effet, chaque article explore les différentes résonances d'une seule et même expression dans la pensée antique, médiévale et de la Renaissance. Cet ouvrage permet d'appréhender au mieux la richesse des expressions en travaillant l'épaisseur chronologique et culturelle de  ce patrimoine, d'entrer dans une démarche proprement humaniste de l'étude du latin et du grec, en découvrant ce que ses sentences ont laissé dans nos modes de pensée, comment elles résonnent en nous, mais aussi à quel point elles sont le fruit de cultures très différentes de la nôtre. Cet ouvrage, outre le fait d'être plaisant à lire et à consulter, me paraît indispensable. 

Je reviendrai sur cette notion d'épaisseur dans un prochain billet, qui portera sur le livre d'entretiens de Florence Dupont. 

Vale, 

Le magister.

samedi 22 juin 2013

La réforme du CAPES de Lettres: évolution, sujétion ou disparition?

Après un long silence, parce que les cours, les formations, les activités syndicales ne se préparent ni ne s'organisent en deux minutes, me voici de retour pour commenter ce qui me paraît être une nouvelle lourde de significations en cette fin d'année scolaire: la réforme du CAPES de Lettres.

En effet, l'arrêté du 19 avril 2013 fixant les modalités d'organisation des concours du certificat d'aptitude professionnelle du second degré acte la fusion du CAPES de Lettres Modernes et du CAPES de Lettres Classiques. Dans le cadre de l'alignement du nombre d'épreuves de tous les concours de recrutement des professeurs du second degré, les écrits et les oraux sont réduits en nombre, afin de parvenir à l'organisation de deux épreuves écrites et deux oraux, contre trois lorsque j'ai passé ces épreuves. Lors de son inscription à la préparation du concours, le futur candidat aura le choix entre une option classique ou une option moderne, qui détermineront le contenu des épreuves qu'il préparera et auxquelles il se soumettra. 
A mon sens, le premier problème se pose dès cet instant: si l'épreuve de dissertation semble ne pas trop changer, mais simplement fusionnée, l'obligation de ne proposer qu'une seule autre épreuve écrite a conduit à créer une épreuve hybride comme second écrit. L'impératif étant de vérifier les connaissances en langue, en histoire littéraire et en histoire antique des candidats dans DEUX langues anciennes, l'étudiant qui compose se retrouvera face à une hydre cognitive: une double version commentée. A l'heure où le concept (tout à fait vérifiable scientifiquement) de surcharge cognitive est mis en avant dans l'enseignement, voir apparaître une telle épreuve, même si elle concerne de jeunes adultes et non des enfants, et même s'il est important de vérifier les connaissances dans les deux langues anciennes susceptibles d'être enseignées dans le secondaire, voir apparaître une telle épreuve, qui demande aussi une mise en jeu professionnelle des textes à traduire, est assez savoureux, ou ironique c'est selon. A côté de cela, le candidat d'option moderne aura une épreuve de grammaire comparée, qui, si elle ne se fera pas les doigts dans le nez, reste cognitivement plus reposante que l'épreuve des classiques.
Ensuite, pour ce qui est de l'oral, on peut déceler là encore une dissymétrie en faveur des modernes. Chacun aura, cela s'entend, une épreuve d'explication de texte de langue française assortie d'une question de grammaire. Mais lorsque le classique ne composera que pour une épreuve d'analyse de situation professionnelle en latin et grec, avec, n'en doutons pas, un bout de traduction dans chaque langue, le candidat moderne aura un éventail de choix bien plus varié et attractif pour un étudiant: théâtre, cinéma ou latin pour le collège... 

Le risque de cette dissymétrie, c'est de voir les étudiants bouder le parcours "Classique" et, à terme, le voir disparaître.

Certaines propositions de cet arrêté vont dans le bon sens, telles que l'officialisation de la question de grammaire française à l'oral, et la volonté de mettre en avant d'autres dimensions de l'enseignement des lettres (cinéma, théâtre...). Mais, si les protocoles de la seconde épreuve orale ne sont pas alignés, le choix des candidats se portera plus volontiers sur l'option moderne, parce que l'éventail d'options y est plus vaste.
Au passage, notons que l'institution fait en sorte de préserver le latin, qui est aussi proposé aux modernes, mais que le grec reste aux oubliettes.

Si on peut voir derrière cette modification des épreuves le vieux topos anticlassique, elle répond surtout à un impératif au vu de la situation des LC dans le supérieur. Les effectifs s'effondrent, les filières, du fait de la loi LRU sur laquelle le gouvernement actuel ne revient pas, se ferment, et, par conséquent, les postes au CAPES ne sont pas pourvus depuis deux ans maintenant (Le CAPES LC 2011 a vu 77 candidats admis pour 185 postes offerts, celui de 2012 75 admis pour 170 postes).
Il n'empêche que la lecture des réactions à cette nouvelle sur les réseaux sociaux laisse un drôle de goût. On y lit surtout les vieilles rengaines, le plus souvent défendues par ceux qui disent vouloir démocratiser l'enseignement. On reste sur l'analyse que les langues anciennes sont par essence élitistes, et on propose de les démocratiser ... en les supprimant. Or, le paradoxe étant que la demande sociale de cet enseignement n'a jamais été aussi forte, puisque 21,9% des élèves choisissent de suivre un enseignement optionnel de langues anciennes au collège. Certains avancent que le problème vient des méthodes d'enseignement du secondaire, qui seraient restées archaïques et monolithiques (tiens, deux mots grecs...). C'est faire peu de cas du volontarisme de nombreux enseignants, de l'action de la CNARELA et des modifications des pratiques d'enseignement (dont il faudrait, je pense, tirer un bilan clair et objectif). Bref, c'est faire preuve d'une certaine méconnaissance du dossier que d'avancer cela. De plus, le reproche d'élitisme se fonde aussi sur la manière de recruter les élèves. Les enseignants de LC maintiendraient eux-mêmes une certaine sélection dans leurs sections en choisissant les élèves au bulletin. A ma connaissance, c'est dans d'autres options dérivatives (bilangue et classes euro pour ne pas les nommer) que l'étude du dossier scolaire est monnaie courante... Et lorsque ces admonestations s'accompagnent de félicitations bruyantes, basées sur une vision passéiste qui se présente comme progressiste, le découragement peut parfois poindre. 


Pour finir, lorsqu'on cherche les causes de la désaffection de la filière dans le supérieur, on ne peut laisser de côté l'explication de la pédagogie appliquée dans le secondaire. Si l'on regarde les chiffres, on peut voir que, sur le temps long, de l'optionnalisation à nos jours, c'est lorsque la volonté d'enseigner la langue par le texte authentique, ainsi que le renoncement à la grammaire de phrase dans l'enseignement du français, se sont imposés que les effectifs ont commencé à baisser (voir data.gouv et cette explication de M. Philippe Cibois). La seconde référence que je vous propose établit que, toujours sur le temps long, on assiste à une grande augmentation du nombre d'élèves qui suivent l'option par rapport à l'époque à laquelle font constamment référence les détracteurs de cet enseignement. C'est à partir du moment où l'enseignement du latin n'a plus proposé de progression raisonnée et facile de l'enseignement de langue, qui devrait avoir pour but de faciliter la compréhension des textes, textes que nous devons toujours étudier (la réunion récente de l'IG des lettres rappelle que l'enseignement des langues anciennes se structure autour de la lecture de textes) et qui visent à donner confiance à l'élève dans sa capacité à comprendre la langue latine et la pratiquer, c'est à partir du moment où les profs (et moi aussi) se sont mis à construire des séquences en mettant à la traîne la progression linguistique, ou en utilisant le texte comme "support", que les effectifs ont baissé. En effet, le but de l'apprentissage progressif et raisonné de la langue n'est pas de répéter des déclinaisons, mais de faire que l'élève puisse accéder seul au texte, de faire qu'il découvre ces liens entre passé et présent, entre mondes antiques et monde moderne, par lui-même, et non pas plongé dans une fausse liberté, dans un bac à sable qui serait la grille de lecture de l'enseignant. Le pari de ne travailler que le texte authentique (de quel texte authentique parle-t'on?) s'est retourné contre les langues anciennes,  il faut avoir la lucidité de constater cet échec et d'en tirer des enseignements pour avancer.

In fine, la crise que connaissent en ce moment les langues anciennes dans le secondaire et le supérieur prend aussi sa source dans les contradictions internes de l'enseignement des LCA. C'est après tout une discipline dont on dit que son objet est important, une clef de compréhension du monde contemporain, mais dont on déconseille en sourdine de travailler le mode d'emploi, à savoir la langue. Bref, un enseignement qui semble mettre la charrue avant les bœufs.

 Je m'efforcerai de creuser cette question dans un prochain billet.

Le Magister

mardi 12 février 2013

Les méthodes "maison de la presse", une source de réflexions pour l'apprentissage du latin (et du grec)?

A la suite de quelques messages sur un forum de professeurs, je me suis procuré cet intéressant petit ouvrage:


A côté des manuels scolaires traditionnels fleurissent ce genre de méthodes, que l'on peut tout simplement trouver dans les rayons d'une maison de la presse de relative importance. 
Parmi ces méthodes, on peut citer Le Latin pour les nuls ou encore la méthode Assimil. A noter que la méthode présentée plus haut et la méthode Assimil existent pour le grec ancien.
La méthode Pocket a pour elle une "adresse aux anciens latinistes (pour encourager les nouveaux)" qui a retenu mon attention ainsi qu'une progression d'apprentissage que je trouve plutôt bien construite. Elle a aussi pour elle une petite page que je trouve bien pratique: "douze points clé du latin", qui rappellent les éléments essentiels à connaître du fonctionnement de la langue latine. 

Voici un petit aperçu de la progression proposée: 
Nom/adjectif/verbe esse aux troisièmes personnes;
Découverte du cas nominatif;
Découverte de la négation;
Découverte du cas vocatif;
Découverte du complément du verbe: l'accusatif;
Découverte du complément du nom: le génitif;
Ablatif et ablatif absolu.
L'attribution;
Les désinences de l'indicatif présent;
Composés de esse et proposition infinitive...

Je ne me permets pas de vous donner la table des matières en entier, de peur que la foudre des ayants-droit me frappe, mais ce balayage rapide des dix premières leçons peut vous donner une idée assez précise de la progression proposée.

Elle reste relativement classique (ce qui ne veut pas dire vieillie) et me semble intéressante à plusieurs titres:
Tout d'abord parce que l'optique choisie est la même que celle des programmes actuels d'enseignement, à savoir la compréhension autonome des textes. Là où d'autres méthodes, telles que la méthode Assimil, prennent un parti de latin de conversation, ce qui rend difficile une transposition dans le cadre du cours si l'on veut respecter les textes, la méthode Pocket est transposable quasiment telle quelle. Elle met en place de suite les première et deuxième déclinaisons, ce qui donne au lecteur une certaine autonomie et le sentiment de progresser rapidement. Elle fournit du vocabulaire en abondance.
Ensuite, cette méthode montre l'importance des exercices de manipulation. Loin de perdre le lecteur/étudiant dans des textes appareillés, elle offre à ce dernier une satisfaction immédiate: la compréhension de ce qui est fait. Le lecteur/étudiant reste motivé parce qu'il a l'impression que ce qu'il fait est à sa portée et n'est finalement pas si compliqué. 
Enfin et surtout, elle réhabilite le thème comme vecteur de l'apprentissage du latin. Cet exercice, quelque peu chassé des programmes officiels, est pourtant un adjuvant formidable pour la lecture ultérieure des textes. ll permet d'appréhender de manière plus intime le fonctionnement de la langue.

Cependant, la progression proposée me paraît aussi poser quelques problèmes:
Pourquoi, si ce n'est pour respecter l'ordre canonique des cas, s'intéresser de si près au vocatif? 
Pourquoi étudier si vite comparatifs et superlatifs (leçons XVIII et XIX) et laisser de côté si longtemps imparfait et parfait (leçons XX et XXIV)?
L'alternance mécanique exercices de thème/exercices de version ne risque-t-elle pas de lasser le lecteur/étudiant?
Et surtout, quels textes donner à lire à côté? En effet, si les exercices de manipulation ont une importance, se limiter à ceux-ci risque de faire tomber le lecteur/étudiant dans une forme de routine qui pourrait être démotivante à la longue. L'objectif reste d'abord et avant tout de lire facilement des textes.

Transposer cette méthode dans le cadre de l'enseignement secondaire me semble faisable. Je m'y essaierai cet été, lorsque j'aurai davantage de temps devant moi. Je tiendrai mes lecteurs au courant de mon avancée. 

Pour finir, l'existence de ces ouvrages pose une grande question: pourquoi investir dans des manuels du secondaire qui coûtent une quinzaine d'euros alors que ces petites méthodes de poche coûtent deux fois moins cher?
Le magister

samedi 19 janvier 2013

Les expressions latines et la philosophie antique

J'ai fini récemment la lecture de l'étude de Philippe Cibois, L'enseignement du latin en France, une socio-histoire, publiée en 2011 et disponible en suivant ce lien. Peut-être le lecteur connaît-il son carnet numérique de recherche et de réflexion, qui est proposé en lien sur ce blog et qui est un riche stimulant pour la réflexion sur l'enseignement des langues anciennes. 
Dans la partie de son étude intitulée "Que faire aujourd'hui?", le sociologue établit que toutes les raisons qui poussaient autrefois à l'étude du latin, qu'elles soient culturelles, religieuses, sociologiques ou politiques ont quasiment disparu. Qui plus est, on peut dorénavant répondre à la principale motivation, ce que Philippe Cibois appelle "l'enracinement antique" sans en passer par l'apprentissage de la langue. Or, les enseignants de lettres classiques sont un groupe professionnel qui se distingue par sa formation linguistique, et aspire logiquement à transmettre cette formation et à la pérenniser. Comme je le disais dans un précédent billet, laisser de côté la langue ancienne dans notre pratique n'a pas de sens autre que celui de se tirer une balle dans le pied: un professeur de lettres modernes, d'histoire-géographie ou même un érudit pourrait proposer des cours de littérature antique en traduction tout autant qu'un professeur de lettres classiques. En conséquence, l'enseignement du latin est écartelé par deux forces contradictoires. Philippe Cibois l'exprime avec une très grande clarté dans les lignes suivantes:

"Nous sommes donc confrontés à une demande sociale qui fait sienne le désir d'enracinement dans la culture antique et au comportement d'un groupe professionnel qui ne veut pas abandonner sa spécificité légitime d'enseignement linguistique." (Ph. Cibois, L'enseignement du latin en France, une socio-histoire, p. 197)

A partir de là, et en prenant acte du fait que les programmes proposés, s'ils sont satisfaisants intellectuellement, semblent dans les faits infaisables, d'un contenu inatteignable pour des élèves du secondaire, à moins de sacrifier l'apprentissage de la langue, deux voies semblent possibles: 
Considérer le latin comme une langue, et plus précisément comme une langue de communication, et l'enseigner comme telle. C'est la piste suivie par Claude Fiévet et sa méthode audio-orale, qui a été mise en avant lors du colloque organisé par le Ministère de l’Education Nationale à Paris, les 31 janvier et 1er février 2012, « Rencontres Langues anciennes, Mondes modernes. Refonder l’enseignement du latin et du grec ». La même piste est suivie par les enseignants Orberg. C'est ce que l'on appelle le latin parlé ou latin vivant. C'est la voie suivie par mon éminent collègue Olivier Rimbault, dont le site via-neolatina est lui aussi référencé sur ce blog. 

Ou bien considérer, comme le propose Philippe Cibois dans son étude, que l'on doit entrer par la langue non plus par la littérature ou l'histoire, mais par les expressions qui restent présentes en français. C'est ce que Philippe Cibois appelle "le latin du français". A partir de la page 198 de son étude, Philippe Cibois ébauche une méthode d'apprentissage progressif du latin à partir des expressions latines les plus courantes de la langue française, telles que manu militari, casus belli, curriculum vitae et caetera (jolie mise en abyme...). Philippe Cibois s'en explique dans ce billet. 
Ces deux voies semblent intéressantes et motivantes, en tout cas davantage que faire du repérage de vocabulaire potentiellement transparent avec des élèves de cinquième dans du Ovide. Cependant, la première nécessite, à mon sens, pour bon nombre de professeurs de LC (dont moi, soyons honnêtes), une remise à niveau drastique en langue. Concernant la seconde voie, celle de M. Cibois, on peut se poser la question suivante: pourrait-elle être développée en y intégrant un autre pan d'expressions latines telles que les Sententiae


En effet, il me semble qu'un des paradoxes de l'enseignement des langues anciennes dans le secondaire est qu'il laisse finalement, si l'on s'en tient aux programmes, une place marginale à un domaine de l'Antiquité qui est pourtant fondamental, et qui résonne toujours aujourd'hui: la philosophie
Cette entrée, si on la développe un peu, selon les principes posés par Philippe Cibois, pourrait nous permettre d'intégrer un enseignement non seulement linguistique, mais aussi et peut-être davantage encore ,culturel. 
J'ai testé cette entrée en cours avec des élèves de troisième, en travaillant autour de l'expression: 

Ne quid nimis. (Rien de trop)

Je vous fais part, un peu à la volée, du déroulement de la séance et de ce que l'on peut tirer de cette minuscule expérience. 

En fait, je n'ai pas travaillé l'expression à proprement parler, mais j'en ai fait une sorte d'historique, ce qui m'a permis de travailler sur certaines de ses nombreuses variations latines (Nemini nimium bene est [L'excès n'est bon pour personne, Afrianus], Vitium est ubique quod nimium est [Il y a vice partout où il y a excès, Quintilien], notamment) et grecques, dont le fameux Méden agan (Μηδὲν ἄγαν), Rien de trop, gravé sur le fronton du temple d'Apollon à Delphes (Il faudra que j'intègre une police de grec ancien sur ce blog, si cela est possible).
Pour ce qui est des aspects linguistiques, les élèves et moi-même nous sommes demandés pourquoi et comment ce genre d'expression pouvait rester, durer. Ils en sont venus à faire des constatations purement stylistiques (brièveté, assonances et allitérations, semblant de parallélisme de construction...). Nous avons naturellement noté le vocabulaire inconnu. 
Pour le reste, cette réflexion a permis d'aborder la notion d'excès (pourquoi est-il mal vu?), d'évoquer les Sept Sages de la Grèce, personnages sur lesquels je poursuivrai un peu plus tard, et de poser les jalons d'une découverte ultérieure du stoïcisme. 
On pourrait tout à fait justifier une telle démarche face à l'institution en mettant en avant l'ECLA (Enseignement Conjoint des Langues Anciennes) et la compétence 5 du socle (Culture humaniste), voire, en étant particulièrement servile, l'enseignement moral. 

Si je dresse le bilan de cette séance, il est plutôt nuancé:

Si cette méthode n'est pas proposée de manière systématique, il ne s'agit alors ni plus ni moins que d'un dispositif du type "L'expression de la semaine/du jour/du mois" (rayez la mention inutile), qui ne permet pas forcément aux élèves de fixer le vocabulaire et les structures linguistiques étudiées. Pour ce faire, il faudrait, comme je le disais, pratiquer quasi exclusivement ainsi et/ou faire apprendre ces sentences par coeur.
L'autre écueil à éviter serait de tomber dans une exégèse hors de portée des jeunes collégiens. 
Il s'agit enfin de ne pas partir dans trop de directions simultanées (la langue? le stoïcisme? l'histoire culturelle?...).

Pour améliorer cette méthode, il conviendrait de l'intégrer aux propositions de Philippe Cibois. Il y a donc face à qui veut s'en emparer, à côté de la progression déjà mentionnée, un gros travail de sélection des sentences pour créer une progression linguistique qui permette à l'élève de traduire facilement. Ensuite, selon ses opinions et habitudes pédagogiques, un travail culturel (via exposés, recherches, synthèses) et/ou d'initiation à la philosophie (relectures, recherches d'échos littéraires ou artistiques...) peut être entrepris. Pour ce faire, le Dictionnaire des sentences latines et grecques de Renzo Tosi, mentionné sur ce blog, est un outil très précieux.

En cette fin de billet, je tenais à remercier M. Philippe Cibois. Son travail est une grande source de réflexion didactique pour moi. De la même manière, je tenais à remercier Olivier Rimbault; je vous reparlerai bientôt de son ouvrage, cité sur la PAL (Pile A Lire) de ce blog. Je vous encourage vivement à fréquenter leurs sites.

Le magister.

dimanche 6 janvier 2013

Brève

Bonsoir à tous,

un très court message pour rappeler la sortie d'une nouvelle traduction de l'Enéide par Paul Veyne, aux Belles-Lettres, ainsi que la traduction du De Rerum Natura de Lucrère en alexandrins non rimés, par Olivier Sers, qui nous avait déjà régalés avec sa traduction des Métamorphoses.

Le Magister

samedi 5 janvier 2013

De David Gemmell et de quelques autres choses... (partie I)

Bonjour à tous,

Après un long silence, ce blog reprend vie. Les bonnes résolutions de 2013 sont passées par là, ainsi que ma lecture récente de la trilogie de David Gemmell sur Troie. 
David Gemmell, pour faire court, est un auteur de science-fiction britannique, décédé en 2006, qui est surtout connu pour les romans dont le héros est Druss, un guerrier légendaire. Ces romans sont de bonne facture, et Gemmell excelle dans la construction très cinématographique de ceux-ci. Disons qu'il a bien lu son Aristote et ce qui concerne la théorie de la péripétie.
Gemmell, et c'est à ma connaissance plus rare dans l'heroic fantasy, a écrit deux ensembles de livres qui s'inspirent directement de l'Antiquité: la quadrilogie intitulée Le Lion de Macédoine, au milieu de sa carrière (parution en 1990 en langue anglaise), qui relate les aventures du héros Parménion, qui côtoie notamment Philippe de Macédoine et Alexandre le Grand. A la fin de sa vie, Gemmell s'est lancé dans la rédaction d'une trilogie sur la guerre de Troie, qui a été achevée de manière posthume par sa femme, semble-t-il à partir de ses notes. C'est de cette dernière oeuvre dont je voudrais vous parler un peu.

Précisons de suite que cette trilogie ne paraît pas appartenir à proprement parler au genre heroic fantasy. Le seul trait qui pourrait tirer cette oeuvre dans ce sens serait le personnage de Cassandre, dont les visions se manifestent parfois de manière ... pyrotechnique.
L'oeuvre montre cependant la grande familiarité de l'auteur avec le mythe, et peut-être même (il faudrait faire une étude plus poussée que ce simple article de blog) de l'oeuvre d'Homère et de Virgile. Notons aussi que des pans de l'intrigue rappellent des oeuvres antérieures de Gemmell. Il a par exemple été connu pour Légende, paru en 1984, qui raconte ... le siège d'une forteresse. Le lien avec le mythe de Troie est ici flagrant, et la dernière partie de sa trilogie, qui raconte le siège, fait écho à son premier roman jusque dans l'enchaînement des évènements. 
L'intrigue de Troie commence sous le règne de Priam et, à la fin, le personnage de Iulos prend la suite de son père Enée à la tête de la colonie des Sept Collines (j'ai mis un tome et demi à comprendre ce que pouvait bien être cette colonie...). Naturellement, il ne s'agit pas d'une réécriture stricte des modèles antiques, :mais d'une construction personnelle, un peu comme  le film Troy de Wolfgang Petersen (2004), qui a été diversement apprécié dans le milieu des profs de Lettres Classiques.

Le personnage principal de cette trilogie est Hélicon (Le seigneur de l'arc d'argent - T.1 - Le bouclier du tonnerre - T. 2 - et La chute des rois - T.3. -), le fils du roi de Dardanie, Anchise. Son vrai nom est naturellement Enée. Or sa mère, décrite comme une folle qui se prend pour Aphrodite mais adorée par son fils, l'appelle Hélicon. Notre héros a donc un nom officiel et un nom affectif, qui est utilisé par ses amis. Peut-être est-ce un moyen pour l'auteur de montrer la personnalité duale de son héros, un tour de création de personnage assez classique dans son oeuvre. 
Enée est un commerçant, concepteur et possesseur d'une galère immense, le Xanthos, dont il est le capitaine. Il est très lié à un autre commerçant, un ancien pirate, célèbre sur toute la mer connue (la Grande Verte) pour ses contes fabuleux, le fameux capitaine de la Pénélope, Ulysse.

Premier coup de force, si j'ose dire, le recyclage de l'Odyssée, qui devient la matière des récits avec lesquels Ulysse régale les matins à chaque escale. Cela permet à l'auteur de mettre dans la bouche du personnage des propos que je trouve particulièrement intéressants sur le statut de la fiction, sur la vérité et le mensonge romanesques:
"Ses récits étaient magiques. Ulysse en avait conscience, même s'il ignorait pour quelle raison ils avaient autant de succès. C'étaient des histoires imaginaires, mais qui conduisaient à des vérités. Son second, Bias, s'était pavané comme un coq quand il avait raconté que son javelot avait brisé l'aile d'un démon qui pourchassait son vaisseau. Ensuite, Bias avait passé la plus grande partie de son temps libre, à terre, à s'entraîner au lancer du javelot. Il était devenu si bon qu'il avait gagné une esclave lors des jeux funéraires d'Alectruon. (...) Mais la magie de ce "mensonge doré", comme il l'appelait, avait encore mieux fonctionné avec Hélicon. Quand il s'était joint à l'équipage du Pénélope, c'était un jeune homme craintif. Mais l'équipage l'avait traité comme le jeune héros qui avait plongé de la falaise pour sauver son capitaine (NDMG: à la suite d'une manipulation d'Ulysse pour forcer Enée à le suivre). Les marins d'Ulysse avaient beaucoup d'affection pour lui, et ils s'attendaient à de grands exploits de sa part. Et Hélicon avait accompli ces exploits, pour ne pas les décevoir. La fiction était devenue une réalité. Le courage imaginaire s'était transformé en héroïsme réel. Hélicon, la mascotte du vaisseau, était devenu Hélicon l'aventurier. Le jeune homme effrayé s'était mué en un homme sans peur."(D. Gemmell, Troie, T.1, trad. Rosalie Guillaume, ed. France-Loisirs)
C'est le simple plaisir de la découverte qui me pousse à partager avec vous ce passage. On retrouve une autre mention des exploits de Bias dans le tome 2, p. 166 - 167 de l'édition déjà citée. Je ne vois pas, pour le moment, comment "l'exploiter" avec les élèves, sauf à, selon les circonstances, vouloir partager ce même moment avec eux et lancer une réflexion sur le statut de la fiction.

Plus intéressantes encore sont les transformations que Gemmell impulse au mythe. On notera que, comme dans toutes les réécritures modernes portées à ma connaissance (de Giraudoux à Wolfgang Petersen dont je parlais plus haut), Hector est un héros éminemment sympathique, une image de la condition humaine, même si dans l'oeuvre qui nous occupe et contrairement à la version de Petersen, sa force physique est complètement irréelle. De même, Agamemnon est un personnage sinistre, ivre de pouvoir, et puni à la fin de l'oeuvre (l'écart avec le mythe est à ce moment très grand).

Certaines transformations sont en revanche lourdes de sens. Je vous laisse découvrir, si vous lisez l'oeuvre, comment le duel d'Achille et d'Hector est amené et conclu, ou encore à la très amusante astuce autour du "Cheval de Troie" pour m'intéresser plus précisément au personnage d'Hélène. Dans la version de Gemmell, Hélène est un personnage mineur, qui n'a rien à voir avec le déclenchement des hostilités. Elle est en visite à Troie lorsque Agamemnon attaque et détruit Sparte pour placer son frère Ménélas - un personnage insignifiant dans tous les sens du terme - sur le trône. Agamemnon, plus tard, réclame le retour de la princesse pour qu'elle épouse son frère et légitime ainsi la prise de pouvoir de la dynastie des Atrides. Hélène a entretemps épousé le seul prince de Troie qui s'est intéressé à cette petite blonde un peu boulotte, le prince Pâris, un lâche montrant davantage d'intérêt aux insectes, aux étoiles et aux livres qu'à la guerre et aux intrigues de palais. Pour le dire tout net, Pâris et Hélène forment le seul couple "normal" au milieu de tous les héros rassemblés à Troie, les seuls personnages princiers à l'écart des intrigues politiques et amoureuses. Bref, on ne retrouve en l'Hélène de Gemmell rien de ce qui fait aujourd'hui la renommée de la mythique plus belle femme du monde (pour faire référence à une autre réécriture récente, il faudrait comparer l'Hélène de Gemmell avec celle de Shanower dans la bande dessinée L'âge de bronze).
Dans le chapitre intitulé "Une légende est née", (T.3., La chute des rois, p. 290 à 299) commence l'attaque de la ville par les Grecs, réunis autour d'Agamemnon. Le palais de Pâris est la première cible des Myrmidons d'Achille. Ils envahissent le palais de nuit. Pâris s'en rend rapidement compte et, effrayé, revêt son armure, qu'il ne met que rarement et dont on dit plus haut qu'il est "comique" avec, et s'avance vers les (deux) soldats qui font irruption dans son mégaron pour protéger la fuite de sa femme et de ses deux enfants. Rapidement tué, il ne peut empêcher les Myrmidons et les Mycéniens de poursuivre sa famille. Hélène se retrouve acculée au plus haut balcon du palais, chacun de ses enfants sous les bras, face à Achille qui lui propose de la suivre pour retrouver Ménélas. Elle demande ce qu'il adviendra de ses enfants, et Achille lui fait comprendre qu'ils seront exécutés : "Vous êtes jeunes, vous aurez d'autres enfants.". Je me permets de vous citer la suite de ce passage:
"Hélène regarda derrière elle, vers le précipice. Les rochers pointus ressemblaient à des pointes de lance en bronze dans la lumière de l'aube. 
Elle se détendit, soudain parfaitement calme. Elle ferma les yeux un instant, et sentit la chaleur du soleil sur son dos. Puis elle rouvrit les yeux et les braqua sur les guerriers.
Toute peur oubliée, elle les regarda l'un après l'autre, un peu comme une mère regarderait des enfants turbulents. Elle vit leur expression changer. Ils savaient ce qu'elle allait faire et la férocité quitta leur visage. 
- Ne faites pas cela! supplia Achille. Rappelez-vous qui vous êtes. Vous n'appartenez pas à ce peuple étranger. Vous êtes Hélène de Sparte. 
- Non, Achille. Je suis Hélène de Troie, dit-elle.
Puis elle serra ses enfants contre elle et les embrassa: "Fermez les yeux mes chéris, murmura-t-elle. Quand vous les rouvrirez, papa sera là."
Achille fonça vers elle, mais trop tard. " (D. Gemmell, Troie, T.3., trad Rosalie Guillaume, ed. France-Loisirs, p. 299).
Le personnage construit ici par Gemmell est radicalement différent de celui du mythe. A ma connaissance, on ne présente traditionnellement pas Hélène comme une mère attentionnée (ce qui est souligné par la comparaison) ou comme une figure du sacrifice. Elle n'est pas non plus connue pour son courage ou sa propension à l'héroïsme.
Peu à peu, les récits de cet épisode par les soldats vont transformer le personnage dans un sens qui nous est plus familier: 
"- Hélène n'avait pas à mourir, dit Patrocle. C'est du gaspillage, une telle beauté détruite sur les rochers en bas.
Xander (NDMG: un personnage secondaire, guérisseur) écouta, surpris. Il avait rencontré la princesse Hélène une seule fois, quand elle veillait dans la chambre d'Hélicon, au moment où il avait été si malade. Il avait vu une femme rondouillette au gentil sourire. Ils parlaient peut-être d'une autre Hélène, se dit-il." (D. Gemmell, Troie, T.3., trad. Rosalie Guillaume, ed. France-Loisirs, p. 381 - 382.). 
Là encore, c'est Ulysse, lors d'une discussion avec Hector en vue d'une négociation de trêve  qui nous donne  un clef de lecture: 
"- La vérité et le mensonge sont deux choses très différentes, autant que le lion et le lézard. Ce sont tous deux des animaux complexes, qui ont des traits en commun, quatre pattes, deux yeux et une queue. Pourtant, on ne risque pas de prendre l'un pour l'autre. Je reconnais la vérité quand je la vois, et je reconnais le mensonge. (Il réfléchit un instant.) Tu connaissais Hélène, la femme de Pâris?
- Oui, je l'ai rencontrée, brièvement. C'était une femme timide, très amoureuse de mon frère. 
- Je l'ai rencontrée une fois. Je l'ai trouvée de nature agréable, mais effacée et d'aspect ordinaire. Tu sais de quelle manière elle est morte? (Hector hocha la tête, sombre.) Les hommes qui étaient là quand elle s'est jetée avec ses enfants du haut de la Joie du Roi (NDMG: le palais dont je vous parlais plus haut) parlent d'elle comme d'une grande beauté. Dans tous nos camps on parle de la belle Hélène et de sa mort courageuse.
- Que veux-tu me prouver, Oncle de la mer?
- Qu'ils ne mentent pas. Les soldats ne peuvent pas parler des femmes en termes qu'ils ne comprennent pas. Ils n'admirent pas la bonté, la modestie ou la compassion. Mais  ils admirent le sacrifice d'Hélène, et donc ils nous disent qu'elle était belle, comme une déesse marchant parmi les mortels. Et c'est la vérité." (ibid. p. 509 - 510)
Ce sont les récits des soldats qui transforment Hélène et forment la légende. Le pouvoir de la fiction est là encore mis en lumière.

Que faire de ces passages en cours de latin? Si on travaille en séquence, on peut imaginer les utiliser en accompagnement, pour montrer la permanence du mythe, mais son aspect protéiforme. On pourrait aussi pousser un peu l'analyse quant au pouvoir de la fiction.
Plus  généralement, utiliser, lorsque cela semble pertinent, des textes modernes et travailler avec les élèves l'écart, les transformations, peut montrer aux élèves que la culture antique et ses mythes baignent toujours la création littéraire. Remarquons aussi que pour apprécier pleinement les écarts, il faut bien maîtriser le mythe de départ... Pour le dire plus simplement: c'est une certaine forme d'érudition qui permet de pleinement apprécier les écarts, et le fait de percevoir ceux-ci provoque une forme de satisfaction chez le lecteur. L'objectif pédagogique à atteindre serait alors que les élèves ressentent ce plaisir esthétique. Si cette perspective de travail est choisie, elle demande un long travail d'histoire littéraire en amont.
Aussi, présenter sans accompagnement du modèle et sans travail spécifique un texte de ce type me paraît contre-productif. 

Dans un prochain billet, je vous parlerai d'un dernier passage tiré de cette oeuvre, passage qui n'est pas directement lié au mythe de Troie, et nous essaierons de voir son intérêt dans un cours de latin.

En attendant, je vous encourage à jeter un oeil à cette trilogie. A titre personnel, j'ai pris beaucoup de plaisir à sa lecture.
Le magister.

samedi 1 septembre 2012

Brève de rentrée

Bonjour à tous,

comme vous avez pu le voir, le travail sur le bilan de mes élèves de troisième m'a fait dériver pendant les vacances vers une question beaucoup plus profonde: pourquoi enseigne-t-on les langues anciennes? Pour le formuler autrement, quels sont les objectifs que l'on donne à cet enseignement dans le secondaire?

L'étendue de cette question dépasse naturellement les limites de ce carnet de réflexions numériques, mais, après avoir mis en forme mes courtes notes, j'essaierai d'envisager divers aspects de cette question, et surtout les implications didactiques qui découlent de cette question fondamentale.

Par ailleurs, je relaie une information vue sur le net, la création du site d'Olivier Rimbault, viae-neolatinae, que j'ai pris la liberté (avec l'aimable autorisation de son concepteur) de placer dans la liste de liens utiles ci-contre. Vous y trouverez une vision assez peu répandue en France de l'enseignement de nos disciplines, et du latin en particulier. De quoi alimenter la nécessaire réflexion de chacun.